. La mémoire des Pères : disponibilité et usages politiques du souvenir patristique dans l’Italie médiévale


Axe 3. Modèles romains

 

Responsables : Patrick Boucheron (Université Paris 1 – LAMOP, UMR 8589 / IUF) ; Stéphane Gioanni (EFR)


- Les réappropriations conflictuelles du souvenir patristique à Milan et à Rome : le rapport qu’entretient la culture médiévale avec les Pères de l’Église n’est pas réductible à la vénération de traditions anciennes ; il est tout entier dans la mise au présent d’un passé continué. C’est à étudier les modalités textuelles, liturgiques et monumentales de la présence médiévale de la mémoire patristique, envisagée dans sa dimension sociale et politique, que ce programme de recherche sera consacré. S’il se limite pour l’instant à l’Italie médiévale, sans s’interdire toutefois quelques incursions géographiques ou chronologiques, c’est d’abord par souci de cohérence thématique et documentaire : on envisagera le souvenir patristique in situ en tant qu’il configure un espace politique et social et qu’il s’ancre dans des lieux qu’il contribue à modeler. En effet, dans le Milan d’Ambroise ou la Rome de Grégoire par exemple, les textes, les rites et les édifices constituent les points d’appui d’une actualisation de la mémoire des Pères. La méthodologie que l’on envisage se définit donc aisément : il s’agit d’œuvrer, à partir d’un objet de recherche précisément délimité (la construction et la fonction des autorités patristiques au Moyen Âge), au décloisonnement des disciplines érudites qui, chacune à leur manière, éclairent l’actualisation des figures patristiques dans l’histoire politique de l’Italie. Les exemples d'Ambroise et de Grégoire ne sont assurément pas pris au hasard. On s’intéresse, depuis quelques années, à l’histoire politique de la mémoire ambrosienne, scandée par le retour régulier des « nouveaux Ambroise », depuis les évêques carolingiens jusqu’à Charles Borromée. Cette recherche à nouveaux frais montre l’omniprésence mais aussi les limites de la réappropriation des Pères au Moyen Âge. Car le passé ne se manipule pas si aisément dans la culture médiévale, surtout lorsqu’il s’agit de l’origine, de la transmission et des usages de l’autorité d’un Père de l’Église, l’un des quatre docteurs de l’Église d’Occident, dont le souvenir se confond avec des lieux, des images et des textes qui ont constitué dès le haut Moyen Âge l’un des fondements de la doctrine chrétienne. L’histoire politique du souvenir ambrosien a constitué le premier champ d’expérimentation de la problématique d’ensemble que l’on entend construire ici. Elle a donné lieu à l’organisation de deux journées d’études, la première qui s’est tenue à l’EFR en 2011 et était consacrée à l’inventaire critique de la disponibilité sociale de la mémoire d’Ambroise, la seconde prévue à l’Université del Sacro Cuore de Milan en 2012 destinée à penser la dispute politique autour des usages de cette mémoire. C’est à partir de cette réflexion que l’on tentera d’élargir notre approche historique des « autorités » patristiques dans l’Italie médiévale à travers l’étude comparative de la mémoire médiévale de Grégoire le Grand.

- Une mémoire « urbaine » des Pères ? Par la chronologie des cristallisations mémorielles (avec notamment l’importance, que l’on ne saurait négliger, de la constitution du canon ecclésiastique et du moment carolingien) mais aussi par la portée monumentale et urbaine de ces patronages, la comparaison entre Ambroise et Grégoire s’impose. Cette comparaison est évidemment asymétrique : si les phénomènes d’appropriations urbaines de la mémoire patristique peuvent être rapprochés (justifiant ainsi les expressions précédemment employées du « Milan d’Ambroise » et de la « Rome de Grégoire »), la puissance d’universalisation des deux figures n’est pas comparable. C’est sur ce point que cette histoire comparée des constructions monumentales que nous appelons de nos vœux recoupe les enjeux d’une histoire politique et urbaine des dominations et des fonctions capitales. Dans le cas présent, cette histoire est aussi celle des relations entre Milan et Rome comme capitales de l’Empire chrétien et comme sièges éminents de l’Eglise italienne. À partir de cette tension comparative peut se construire d’autres jeux de combinaisons : comparaisons avec un tiers personnage (nous pensons par exemple à la figure d’Augustin pour la pensée occidentale) ou regroupements mémoriels qui constituent les piliers de l’Eglise latine (par exemple, les quatre Docteurs de l’Église latine que sont, depuis 1295, Augustin, Ambroise, Jérôme et Grégoire).

- La mémoire italienne des Pères grecs : la réception des Pères grecs en Italie est généralement envisagée pour l'étude des doctrines (débat trinitaire, christologie, etc.), des relations entre le siège de Rome et l'Orient byzantin, et de l'influence des pères cappadociens sur le monachisme occidental (notamment de la Vie d'Antoine d'Athanase d'Alexandrie sur l'apparition des nouveaux "Antoine" qui fleurissent en Italie jusqu'à la fin du Moyen Âge). En revanche, la question d'un usage politique de cette mémoire a peu retenu l'attention. La question mérite d'autant plus d'être posée que l'influence byzantine est évidemment essentielle sur toute une partie de l'Italie médiévale sur le plan de la culture, du droit et des structures sociales. L'hagiographie italienne comporte, elle aussi, des tas d'exemples de contamination de cultes grecs qui se rattachent à des traditions patristiques non-apostoliques et non- romaines. Notre approche problématique nous permettra ainsi d'aborder à nouveaux frais la transmission et les usages juridiques et politiques en Italie des traductions latines des Pères grecs (par exemple l'influence de la collection du Chrysostome latin, au XIIe s., sur la pensée juridique de Bulgaro appelé aussi os aureum) qui ont surtout intéressé les historiens des textes et des doctrines, et qui ont pourtant nourri de nouvelles représentations des Pères grecs mais aussi la pensée et les pratiques médiévales en Occident.

- Figures et lieux : en se donnant ainsi pour objet d’études des figures davantage que des traditions, on élargit le spectre disciplinaire du programme de recherches. Les démarches philologiques et iconographiques, indispensables pour mesurer la disponibilité matérielle des Pères au Moyen Âge (présence de leurs œuvres et de leurs représentations figurées), y ont évidemment toute leur part dans la mesure où elles s’intègrent au questionnaire commun d’une histoire politique des conditions sociales de la disponibilité conceptuelle et des réappropriations du souvenir patristique. Ce projet posera enfin le problème des conditions de notre propre réception des Pères de l'Eglise. Nous voudrions en effet nous interroger, a contrario, sur l’influence des réappropriations médiévales sur nos représentations des Pères de l’Eglise et sur les modalités de transmission de leurs œuvres, sachant que toute la production patristique est connue par la médiation de la culture et des manuscrits médiévaux. Nous pourrons ainsi mieux évaluer l'influence des « milieux » mais aussi des « lieux » - au sens médiéval du terme – sur la représentation des Pères. Pas uniquement les lieux de savoirs comme les bibliothèques ou les écoles mais aussi les espaces urbains, politiques et sociaux. Nous pourrons comparer le souvenir d’Ambroise et de Grégoire (inextricablement lié à la construction médiévale de Milan et de Rome) au souvenir d’Augustin, qui ne se confond pas avec un lieu d’aussi grande importance, et s’inscrit d’emblée dans une histoire universelle.


Partenaires institutionnels

  • Université Paris 1 / Laboratoire de Médiévistique Occidentale de Paris (CNRS - LAMOP, UMR 8589) / Labex Hastec
  • Institut Universitaire de France
  • Università cattolica del Sacro Cuore di Milano


Programme prévisionnel et projets éditoriaux

  • 2011 : atelier 1, à Rome, « Le souvenir d’Ambroise : la disponibilité d’une mémoire disputée »
  • 2012 : atelier 2, à Milan, « Se battre avec les mots d’Ambroise : le souvenir d’Ambroise dans les disputes politiques »
  • 2013 : atelier 3, à Rome, « saint Grégoire le Grand dans l’Italie médiévale : de la mémoire locale au souvenir universel
  • 2015 : atelier 4, « la mémoire des Pères grecs en Italie »

 

 

Résultats attendus

  • Une sélection d'études présentées durant les ateliers fera l'objet de publications intermédiaires.
  • Un carnet hypothèses permet de suivre l'évolution et les résultats intermédiaires du programme : voir La mémoire des Pères


Participation EFR

Partenaire principal ; éditeur

Questa pagina è una traduzione dal francese, aggiornata il //

Contacts :

 

Prochaines manifestations et actualités

PROGRAMMES

Programmes structurants (2022-2026)

Axe 1 – Espaces maritimes, littoraux, milieux insulaires

Axe 2 – Création, patrimoine, mémoire

Axe 3 – Population, ressources, techniques

Axe 4 – Territoires, communautés, citoyenneté

Axe 5 – Croyances, pratiques et institutions religieuses

Axe 6 – L’Italie dans le monde

 

Projets financés par l'Agence nationale de la Recherche (ANR)

Axe 2 – Création, patrimoine, mémoire

Axe 3 – Population, ressources, techniques

Axe 4 – Territoires, communautés, citoyenneté

Axe 5 – Croyances, pratiques et institutions religieuses

Axe 6 – L’Italie dans le monde

 

Projet franco-allemand financé par l'Agence nationale de la Recherche (ANR) et la Deutsche Forschungsgemeinschaft (DFG)

Axe 6 – L’Italie dans le monde

 

Projets européens (Horizon 2020)

Axe 5 – Croyances, pratiques et institutions religieuses

 

Projets Impulsion

Axe 2 – Création, patrimoine, mémoire

Axe 3 – Population, ressources, techniques

Axe 4 – Territoires, communautés, citoyenneté

Axe 5 – Croyances, pratiques et institutions religieuses

 

 

 
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