Paul Veyne (1930-2022)
Rome, 03/10/2022
Historien du monde gréco-romain, savant remarquable à l’intelligence pétillante, intellectuel inclassable habité du goût du paradoxe et de la provocation, Paul Veyne nous a quittés le 29 septembre dernier. Élève de l’École normale supérieure, puis membre de l’EFR, il fut maître assistant de latin à la Sorbonne puis professeur à Aix-en-Provence, avant d’occuper la chaire d’histoire de Rome au Collège de France, où il finit sa carrière en 1999. Formé dans la tradition de l’érudition des études anciennes et mu par une insatiable curiosité, historien dont la réflexion fut très tôt nourrie par les sciences sociales, il est l’auteur d’une œuvre à la fois personnelle, parfois inattendue, et qui aura fortement marqué l’historiographie de la seconde moitié du XXe siècle.
Tous ces aspects se manifestèrent très tôt, dès son séjour à l’EFR : Veyne arriva en effet au palais Farnèse en 1955, où il séjourna jusqu’en 1957. Il a évoqué à plusieurs reprises ce « séjour de rêve », notamment dans le Quotidien et l’intéressant (1995) et dans Et dans l’éternité je ne m’ennuierai pas, ses mémoires publiées en 2014. Ce furent des années de formation, non seulement en histoire et archéologie romaines, mais au sens large des romans du XIXe siècle dont cet athée, qui s’est vivement intéressé aux questions religieuses dans l’Antiquité, avait fait ses « évangiles ». Il évoquait avec malice les « épisodes amusants » et les « amours profanes » de ces années.
Entré comme épigraphiste, il projeta d’abord de faire porter ses travaux sur les vigiles à l’époque impériale, puis sur Aquilée avant les Chrétiens. Son mémoire eut finalement pour objet les monuments figurés relatifs aux institutions et à la vie municipale. Ce dernier choix lui fut sans doute inspiré de son intérêt pour l’arc de Trajan à Bénévent, et, vraisemblablement aussi, par les nombreux voyages, aux côtés notamment de son camarade Paul-Albert Février, dans les sites, les musées archéologiques et les pinacothèques d’Italie où, pendant deux ans, « tout [fut] peuplé d’images ». Dans ce travail, on retrouve des thèmes ou des problèmes qui nourriront ses premiers articles : sur la table des Ligures Baebiani et l’institution alimentaire de Trajan (MEFRA, 1957 et 1958), sur l’iconographie de la transuectio equitum (REA, 1960), sur le Marsyas colonial (BSNAF, 1961) ou encore sur le monument des suovétauriles de Beaujeu (Rhône ; Gallia, 1959) pour n’en citer que quelques-uns. Dans ces travaux connus aujourd’hui surtout des spécialistes, moins fameux que les grands articles de synthèse (ainsi « Vie de Trimalcion, Annales ESC, 1961) et surtout que ses grands ouvrages dont, en premier lieu, le monumental Le pain et le cirque (1975), on relève déjà ce qui faisait l’originalité de son regard et de sa démarche : la capacité à réunir des documents disparates, dispersés, voire inédits ; une volonté de ne pas se limiter à l’analyse propre, mais de multiplier les digressions, souvent originales, et les comparaisons : André Piganiol, dans le compte rendu de son mémoire (CRAI 1958), relève ses observations sur l’histoire de la perspective, que l’on retrouvera ça et là des années plus tard dans d’autres travaux. Et d’ajouter « nous pensons qu’une belle carrière attend ce jeune homme dont le mémoire atteste des mérites exceptionnels. » Entré « archéologue » comme on disait alors, Veyne participa pendant un trimestre aux recherches conduites sur le site d’Utique, en Tunisie, où il prit définitivement conscience qu’il n’était pas fait pour l’art de la fouille, comme il le répètera ensuite avec amusement dans de nombreux livres ou entretiens. Encore un paradoxe pour celui qui, suivant un petit mythe personnel, faisait remonter sa vocation à un tesson d’amphore, « aérolithe tombé d’une autre planète », qu’il découvrit par hasard à l’occasion d’une promenade à Cavaillon quand il avait 8 ans.
Ces « splendides années romaines » furent donc séminales. Si, dans la suite de sa carrière et de sa vie, il continua de fréquenter ponctuellement l’École et surtout sa bibliothèque, il entretint avec l’Italie, son histoire et surtout sa peinture, un amour qu’il cultiva toute sa vie et qu’il sut transmettre avec intelligence et avec passion.
Photographie : Paul Veyne au sein de la promotion 1955-1956 (archives de l'École française de Rome)