De l’asile de la liberté au droit d’asile, Italie-Europe XIVe-XIXe siècle

Appel à communication
Envoi des propositions jusqu'au 5 novembre 2018

Appel à communication « De l’asile de la liberté au droit d’asile, Italie-Europe XIVe-XIXe siècle », Venise, Université Ca’Foscari, Jeudi-vendredi 28-29 mars 2019

  La Révolution française suscita des vagues de migrations massives vers plusieurs pays d’Europe. Les « émigrés », ainsi qu’on les appelait, venaient demander l’asile, dessinant une géographie de villes accueillantes et forgeant ainsi des lieux « d’asile de la liberté ». Au même moment, ou presque, le 24 juin 1793, la Constitution montagnarde de la première République inscrivit l’asile dans son article 120, le transformant en un droit véritable : le peuple français, déclarait l’article, « donne asile aux étrangers bannis de leur patrie pour la cause de la liberté. Il le refuse aux tyrans ». Cette généreuse législation fit, on le sait, long feu. Cependant, son caractère éphémère ne saurait recouvrir le fait qu’il s’agissait d’un objet juridique inédit. Pour la première fois dans l’histoire de l’Europe, un droit d’asile était officiellement offert aux personnes persécutées pour des raisons politiques ou religieuses. Il fondait durablement pour ces personnes un droit mais aussi un devoir de protection au sens où nous l’entendons aujourd’hui : « un devoir de protection des personnes menacées dans leur pays, un droit au maintien sur le territoire ainsi qu’à des conditions d’accueil dignes pendant toute la durée de l’examen de leur dossier. »[1]

Le terme pourtant de « droit d’asile » renvoyait à l’époque moderne à une toute autre réalité juridique. Au Moyen Âge et encore jusqu’au XVIIIe siècle, il s’agissait d’un droit d’immunité offert de manière temporaire à un délinquant ou à un criminel en fuite qui trouvait refuge dans une église ou dans un lieu bénéficiant d’un droit d’asile laïc. Les très nombreuses migrations religieuses qui commencèrent dès le XVIe siècle, avec la fracture de la Réforme, engendrèrent une redéfinition de l’asile en s’appliquant aux personnes persécutées en raison de leur confession. Ce passage du droit d’asile médiéval à notre droit d’asile actuel sera au cœur du présent colloque.

Celui-ci pourra s’articuler autour des trois axes suivants :

-          Le premier portera sur la tradition du droit d’asile médiéval, sa continuité et ses transformations tout au long de l’époque moderne. Il examinera les débats nombreux qu’il suscite tant à Rome où il est l’objet de controverses abondantes entre canonistes, que dans les hautes cours de justice française, néerlandaise, suisse, anglaise ou allemande, notamment au sein du Conseil impérial aulique (Reichshofrat), tribunal traitant spécifiquement des affaires ayant trait aux prérogatives de l’empereur. On sera attentif à la notion d’immunité ecclésiastique et aux débats qu’elle génère quand s’affrontent la vision de l’Eglise et celle des pouvoirs politiques face aux espaces sacrés ou considérés inviolables. Les autorités séculières tendent en effet à dénoncer progressivement les immunités dont jouissaient des catégories du reste non limitées aux seuls catholiques.

-          Le second axe portera sur les pratiques de l’asile et du refuge telle qu’elles se développent dès le XVIe siècle, à la suite des conflits religieux qui déchirent l’Europe. On s’intéressera à des groupes confessionnels aussi variés que les protestants de toutes obédiences (luthériens, frères de Bohême, huguenots français, vaudois, Orangeois…), les juifs et les catholiques, notamment anglais et irlandais. On examinera ces formes de refuge à la lumière de celles déjà pratiquées au Moyen Âge pour quelques groupes hérétiques. On envisagera aussi les pratiques plus tardives de l’asile non seulement religieux mais aussi politique (jacobites, orangistes, migrations révolutionnaires et accomplies au nom de la liberté…) de la fin du XVIIe au milieu du XIXe siècle, sans négliger les dimensions culturelles et économiques (écrivains se sentant mal à l’aise dans leur patrie d’origine et recherchant des lieux plus propices à l’exercice de leur métier, des protecteurs, des abris…).

-          Le troisième axe concernera les langages de l’asile et la formation d’une géographie à la fois politique et symbolique « de la liberté ». Comment dès le XVIIe siècle et surtout au XVIIIe siècle, les terres d’accueil devinrent-elles le siège d’une production intellectuelle intense qui permit l’émergence des concepts de liberté de conscience et de tolérance comme l’ont montré les travaux d’Hubert Bost[2] ? Comment un imaginaire de « l’asile de la liberté » prit-il une forme à la fois théorique et romanesque avec la littérature libertine à partir du XVIIe siècle, et comment généra-t-il du même coup la constitution d’une véritable géographie européenne des lieux de l’asile entre le XVIIe et le XIXe siècle ? Par-delà l’Amérique du Nord, cette perception de l’espace s’appliqua autant à des villes (Venise, Genève, Paris, Londres, Bruxelles, Amsterdam) qu’à des pays (Prusse, Provinces-Unies, Angleterre…). Ceux-ci furent appréhendés dans la longue durée, quoique avec des variations, comme des lieux d’accueil garantissant à des personnes étrangères une liberté dont elles ne jouissaient pas dans leurs lieux de provenance.

 Cette rencontre aura lieu à l’Université Ca’ Foscari de Venise. Elle s’inscrit dans le cadre du programme quinquennal 2017-2021 de l’École Française de Rome Administrer l’étranger. Mobilités, diplomaties et hospitalité, Italie - Europe (XIVe-mi XIXe siècle), piloté par les Universités Grenoble Alpes (LUHCIE), Paris Est Créteil (CRHEC) et Paris Panthéon Sorbonne (IHMC).

http://luhcie.univ-grenoble-alpes.fr/programmes-de-recherche/#Administrer

 http://www.efrome.it/la-recherche/programmes/programmes-scientifiques-2017-2021/adminetr.html

 

Les propositions de communications composées d’environ 500 mots et d’une courte bio-bibliographie (5 à 10 lignes) sont à envoyer aux organisateurs d’ici le 5 novembre 2018: infelise(at)unive.it, gilles.bertrand(at)univ-grenoble-alpes.fr et naima.ghermani(at)univ-grenoble-alpes.fr

 

Colloque organisé par Mario Infelise (Ca’Foscari, Venise), Gilles Bertrand et Naïma Ghermani (Université Grenoble-Alpes LUHCIE) avec la collaboration de l’Ecole française de Rome et des autres membres du comité de pilotage.

 


[1] Site du ministère de l’Intérieur français.

[2] Hubert Bost, Ces messieurs de la R.P.R. Histoires et écritures de huguenots, XVIIe-XVIIIe siècle, Paris, H. Champion, 2001, et notamment son chapitre 12 « Le Refuge huguenot, un laboratoire de la tolérance ? » p. 302-323.

 

 

 

 

 

Call for papers “From the asylum of freedom to the right of asylum, Italy-Europe 14th-19th century”, Venice, Ca’ Foscari University, Thursday-Friday 28-29 March 2019

 The French revolution generated waves of mass migration to several European countries. “Emigrants”, as they were called, came to seek asylum, shaping a geography of reception cities and thus establishing locations offering “the asylum of freedom”. At or around the same time, on 24 June 1793, the Montagnard Constitution of the First Republic enshrined asylum in its Article 120, transforming it into a genuine right: the French people, according to the Article, “provide asylum to foreigners banished from their native country on account of liberty. They refuse it to tyrants.” As we well know, this generous piece of legislation did not last long. However, its ephemeral nature does not overshadow the fact that this was an unforeseen legal subject matter. For the first time in European history, a right to asylum was officially offered to individuals being persecuted for political or religious reasons. It established a long-lasting right for these individuals, but also a duty of protection as we understand it today: “a duty to protect individuals under threat in their country, a right to remain in the country and to dignified reception conditions for the entire period during which their file is examined.”[1]

Yet, the notion “right of asylum” referred, in the modern period, to an entirely different legal reality. During the Middle Ages, and continuing through to the 18th century, it was a right of immunity offered temporarily to a fleeing delinquent or criminal having found refuge in a church or in a location offering a secular right of asylum. The many religious migrations that started in the 16th century, with the fracture of the French Reformation, caused the term “asylum” to be redefined to be applied to individuals persecuted due to their faith. This transition from the medieval right of asylum to our modern right of asylum will be at the heart of this conference.

This conference will be centred around the three following areas of focus:

-          The first on the tradition of the medieval right of asylum, its continuity and its transformations throughout the modern period. It will examine the many discussions that it fuelled both in Rome where it was subject to much controversy between canonists, and in the high courts of the French, Dutch, Swiss, English or German justice systems, and particularly within the Imperial Aulic Council (Reichshofrat), a tribunal which specifically handled cases relating to the Emperor’s prerogatives. Attention will be paid to the notion of ecclesiastical immunity and to the discussions that this notion generated when the Church’s vision clashed with that of political authorities as regards sacred places or those deemed inviolable. In fact, secular authorities progressively grew to condemn the immunities from which other categories benefitted and which were not limited to Catholics alone.

-          The second area of focus will touch on asylum and refuge practices as they developed starting in the 16th century, following the religious conflicts that ripped Europe apart. We will cover religious groups as varied as protestants of all persuasions (Lutherans, Bohemian Brethren, French Huguenots, Waldesians, Orange Order, etc.), Jews and Catholics, of English and Irish nationality in particular. We will examine these types of refuge in light of those already practiced during the Middle Ages by certain heretical groups. We will also consider later asylum practices, both religious and political (Jacobites, Orangemen, revolutionary migrations and those carried out in the name of freedom, etc.), from the end of the 17th century to the mid-19th century, without neglecting cultural and economic aspects (writers feeling uncomfortable in their native country and seeking more suitable areas to practice their profession, protectors, shelter, etc.).

-          The third area of focus will relate to asylum languages and the establishment of both a political and symbolic geography “of freedom”. How did reception countries become, as from the 17th century and especially in the 18th century, the home of an intense intellectual output enabling the emergence of the concepts of freedom of conscience and tolerance as demonstrated by Hubert Bost’s works[2]? How did the image of an “asylum of freedom” take form, both in theory and in fiction through libertine literature starting in the 17th century, and how did it simultaneously cause the creation of an actual European geography of places of asylum between the 17th and 19th century? Outside of North America, this perception of space applied both to cities (Venice, Geneva, Paris, London, Brussels, Amsterdam) and to countries (Prussia, Dutch Republic, England, etc.). These were regarded, in the long-term, albeit with variations, as reception places guaranteeing foreign individuals a freedom that they did not benefit from in their place of origin.

 This conference will take place at the Ca’ Foscari University of Venice. It is part of the École Française de Rome’s 2017-2021 five-year programme Administrer l’étranger. Mobilités, diplomaties et hospitalité, Italie - Europe (XIVe-mi XIXe siècle) (Foreign management. Mobility, Diplomacy and Hospitality, Italy-Europe (14th - mid-19th century), led by the Grenoble Alpes University (LUHCIE), the Paris Est Créteil University (CRHEC) and Paris Panthéon Sorbonne University (IHMC).

http://luhcie.univ-grenoble-alpes.fr/programmes-de-recherche/#Administrer

 http://www.efrome.it/la-recherche/programmes/programmes-scientifiques-2017-2021/adminetr.html

 

Paper proposals of approximately 500 words accompanied by a short bio-bibliography (5 to 10 lines) should be sent to the organisers by 5 November 2018: infelise(at)unive.it, gilles.bertrand(at)univ-grenoble-alpes.fr and naima.ghermani(at)univ-grenoble-alpes.fr

 

Conference organised by Mario Infelise (Ca’ Foscari, Venice) Gilles Bertrand and Naïma Ghermani (Grenoble Alpes University LUHCIE) in collaboration with the École Française de Rome and the other members of the steering committee.

 

 


[1] French Ministry of the Interior Website.

[2] Hubert Bost, Ces messieurs de la R.P.R. Histoires et écritures de huguenots, XVIIe-XVIIIe siècle (The Gentlemen of the RPR. History and writings of the Huguenots, 17th-18th century), Paris, H. Champion, 2001, and in particular Chapter 12 « Le Refuge huguenot, un laboratoire de la tolérance ? » (“The Huguenot refuge, a laboratory of tolerance?”) p. 302-323.

 

 

Catégorie : Appels à communications
Publié le 01/10/2018 - Dernière mise à jour le 21/12/2018
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